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L’obligation pour un employé d’essayer de se trouver un autre emploi en vertu de deux recours distincts

19 août 2022

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

 

Dans Abdallah c. Office municipal d’habitation Kativik, une décision récente du Tribunal administratif du travail, on discute de l’obligation de mitiger ses dommages, le principe de droit selon lequel un employé qui a perdu son emploi doit tenter activement de se trouver un nouvel emploi pour minimiser les sommes qu’il « perd » entre deux emplois.

Dans la cause qui nous occupe, l’employé excerçait son recours en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, pour lequel on recherche souvent la réintégration dans l’emploi. Ce recours est différent du simple recours civil en vertu du délai de congé de l’article 2091 du Code civil du Québec, pour lequel on octroie des montants en dommages.

Il appert que qu’il faut différencier l’intensité de l’obligation de mitiger son préjudice quant au recours choisi. Si on se prévaut de la réintégration, l’obligation de tenter de se retrouver un emploi sera beaucoup plus diluée, puisqu’il faudrait logiquement quitter un nouvel emploi pour être réintégré dans son emploi précédent, ce qui semble contre-intuitif. Voici le ratio du juge :

 

[105]   Un salarié congédié a l’obligation de limiter les dommages résultant de son renvoi. Cette obligation découle de l’article 1479 du Code civil du Québec[34], mais s’applique également dans le contexte d’une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante en vertu de l’article 124 de la LNT[35]. Il s’agit d’une obligation de moyens et non de résultat[36].

[106]   Elle s’évalue en fonction des particularités propres à chaque situation, selon le critère de la personne raisonnable[37] et comporte deux volets. Le premier consiste à fournir un effort raisonnable pour trouver un nouvel emploi dans le même domaine d’activité ou un domaine connexe. Le second est de ne pas refuser d’offres d’emploi qui, dans les circonstances, sont raisonnables[38].

[107]   Depuis l’affaire Doyon[39] et l’arrêt de la Cour d’appel dans Carrier[40], il est bien établi que l’on doit tenir compte de la nature particulière du recours déposé en vertu de l’article 124 de la LNT dans l’évaluation du respect de l’obligation de minimiser ses dommages à la suite d’un congédiement.

[108]   En effet, il existe une distinction importante entre un recours civil et une plainte fondée sur la LNT. Puisque l’article 2091 du C.c.Q. permet à l’employeur de mettre fin à un contrat de travail à durée indéterminée, sous réserve de donner un préavis suffisant, le recours du salarié se limite à la réclamation de dommages et intérêts et ne permet pas d’obtenir la réintégration. Pour sa part, l’article 124 de la LNT interdit à l’employeur de congédier un salarié sans cause juste et suffisante et la réintégration est le remède privilégié dans le cadre d’un recours fondé sur cet article[41].

[109]   Il en résulte que l’obligation de minimiser ses dommages d’un salarié qui se plaint d’un congédiement illégal en vertu de la LNT ne devrait pas être appliquée avec la même rigueur, parce qu’elle doit s’apprécier en considérant que, par l’exercice de ce recours, l’objectif recherché est la réintégration[42]. L’intensité de ses démarches n’a pas à être aussi importante que ce que la jurisprudence requiert dans le cadre d’une réclamation fondée sur l’article 2091 du C.c.Q.[43].

[110]   En raison de ce qui précède, la jurisprudence déposée par l’employeur à l’appui de ses prétentions ne peut être appliquée dans le présent dossier. Le jugement de la Cour supérieure dans l’affaire Béchara[44] est rendu avant les affaires Doyon[45] et Carrier[46], et suit la rigueur du raisonnement civiliste. Il ne reflète plus l’état du droit[47]. Il en est de même de la décision de la CRT dans l’affaire Bernier[48]. Parmi les autorités postérieures, l’employeur dépose deux jugements de la Cour supérieure rendus dans le cadre de recours civils[49].