Par Maître Igor Hubin, avec la collaboration de Sabrina Roberge
Dans l’arrêt Sahlaoui c. 2330-2029 Québec inc., la Cour d’appel précise les contours du devoir de loyauté d’un salarié découlant de l’article 2088 du Code civil du Québec.
En première instance, un orthésiste-prothésiste cumulant une dizaine d’années d’ancienneté chez son employeur est condamné à verser à ce dernier des dommages-intérêts équivalant à une année de profits perdus suite à sa démission. Il était reproché au salarié d’avoir manqué à son devoir de loyauté en effectuant les démarches de création d’une entreprise concurrente alors qu’il était encore à l’emploi de son employeur, puis en faisant concurrence à ce dernier dès sa démission par l’entremise de sa nouvelle entreprise.
La Cour d’appel rappelle dans son arrêt que le devoir de loyauté du salarié comporte une phase contractuelle, alors que le salarié est encore lié à son employeur, et une phase post-contractuelle, une fois qu’est rompu le lien d’emploi entre les parties.
En ce qui a trait à la phase contractuelle, la Cour d’appel réitère que le devoir de loyauté du salarié consiste à ne pas délibérément nuire aux intérêts légitimes de l’employeur en détournant par exemple des clients vers des concurrents incluant son futur employeur. Il est toutefois déterminé que le salarié a le droit de « préparer son départ » tout en demeurant en poste et sans en aviser son employeur, et ce même si le travailleur envisage de faire concurrence à son employeur après la rupture du lien d’emploi, à condition que ces préparatifs ne soient pas effectués sur son temps de travail et que le travailleur ne profite pas de la situation pour piller l’information confidentielle de l’employeur ou pour détourner sa clientèle, notamment.
En ce qui a trait à la phase post-contractuelle, la Cour d’appel rappelle entre autres qu’en l’absence de clause de non-concurrence, l’ex-salarié peut disposer à sa guise des relations et de l’expertise acquises chez son ex-employeur, lui faire vigoureusement concurrence et chercher à s’en approprier la clientèle, à condition que cette concurrence soit loyale et de bonne foi. Le devoir de loyauté post-contractuelle impose essentiellement pendant quelques mois une certaine retenue à l’ex-salarié qui doit mener sa concurrence avec modération.
Dans le présent dossier, le salarié n’a pas commencé à travailler pour sa compagnie concurrente avant sa fin d’emploi. Celui-ci s’est bien comporté avant son départ et a accompli ses tâches avec diligence et compétence malgré ses démarches concomitantes pour préparer le début des opérations de sa propre entreprise. L’appelant était un salarié « ordinaire » de l’employeur, et sa grande compétence ne justifiait pas d’alourdir son obligation de loyauté post-contractuelle.
La liberté de travail est un principe qu’il ne faut pas paralyser par le concept de le devoir de loyauté. L’employeur ne peut pas empêcher son salarié de trouver un autre emploi et à lui faire concurrence à condition qu’il respecte les limites convenues dans le contrat de travail.