Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration d’Emma Therrien
Dans une décision de la Cour supérieure de 2006, Drolet c. Re/Max Québec inc., on est amené à statuer d’un potentiel congédiement déguisé.
Dans cette affaire, la plaignante occupe les fonctions de vice-présidente des opérations et directrice générale de Re/max Québec (RMQ) depuis 15 ans.
Elle se fait annoncer que ses efforts, qui pourtant portaient fruits, sont insuffisants. L’employeur, sans fournir d’explications claires, mentionne à l’employée qu’elle n’aura dorénavant plus le même rôle au sein de la compagnie. Par la suite, il refuse de la rencontrer à nouveau et prend des décisions concernant les postes chez RMQ sans lui en faire mention. L’année suivante, un scénario semblable se reproduit. L’employeur est encore insatisfait des revenus qu’il génère. Il dénigre le travail de l’employée en s’attribuant le mérite entier pour les évolutions de l’entreprise.
L’employée fini par démissionner en raison d’un nouveau programme de bonification instauré par l’employeur. Elle invoque que ce nouveau fonctionnement aurait entraîné une diminution significative de son salaire.
Après analyse, le tribunal conclut que l’employeur est dans le tort, car il y a eu une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail.
En voici les raisons principales :
[82] Drolet était la personne qui, pendant plus d’une décennie, occupait le deuxième plus important poste dans la compagnie. Titley avait l’obligation de la traiter avec courtoisie et respect comme condition essentielle du contrat d’emploi. Il a cessé de respecter cette obligation à compter de la fin du mois d’août 2001 – et surtout dès septembre 2002.
[83] Nous rejetons donc le premier moyen de défense de RMQ.
[84] Le deuxième moyen de défense veut que la démission de Drolet ait été prématurée. Selon cet argument, Drolet devait poser des gestes additionnels afin d’avoir une certitude objective qu’elle perdrait une somme substantielle en vertu du nouveau programme de bonification. Pour ce faire, elle aurait dû continuer chez RMQ jusqu’au paiement des premiers bonis, quelque soixante jours après la fin de l’exercice financier en cours, ou extrapoler les résultats financiers après les trois premiers mois de l’année pour voir l’envergure de l’enveloppe éventuelle.
[85] D’ailleurs, Titley dit que, afin de compenser pour le fait que jusque-là Drolet recevait les paiements par agents sur une base mensuelle, il aurait accepté de lui payer des versements sur son boni à des intervalles de trois mois pendant l’année en cours. Selon lui, Drolet n’avait qu’à le demander.
[86] Avec égard, nous ne sommes pas d’accord.
[87] Quant à la première option suggérée, Titley explique le programme en grand détail dans sa lettre du 25 février (Pièce P-13), en y soulignant les aspects conditionnels et discrétionnaires. Si plus d’informations étaient requises pour saisir toutes les nuances du programme, c’était à lui de les fournir en réponse aux demandes de Drolet. Pour sa part, elle avait le droit de prendre sa décision basée sur les informations qu’elle avait reçues au début de 2003[17].
Sur ces bases, le Tribunal lui accorde un délai assez exceptionnel de 20 mois. Voyez la façon dont le juge motive sa décision :
[92] Drolet réclame une indemnité de délai de congé basée sur une durée de vingt mois. Typiquement, il faut approcher cette question de façon hypothétique, soit parce que le demandeur n’a pas encore trouvé un nouvel emploi au moment du procès, soit parce qu’il en a trouvé un dans un délai moindre que la période minimale que le tribunal accorderait, mais à un salaire moins élevé[18]. Le présent cas s’avère quelque peu exceptionnel dans ce sens.
[93] Au moment où l’action est intentée, Drolet estime qu’elle a droit à un délai de congé de vingt mois et elle intente son action sur cette base. Par la suite, par pure coïncidence, elle trouve un nouvel emploi exactement vingt mois après la fin de son emploi chez RMQ.
[94] Qui plus est, il est difficile d’imaginer une recherche d’emploi plus diligente ou mieux documentée que celle de Drolet (Pièces P-39 et P-41). Le Tribunal ne pourrait pas être plus convaincu qu’elle a respecté son obligation de tenter de minimiser ses dommages, sujet à nos commentaires ci-après.
[95] En présence des efforts impressionnants de la part de Drolet pour réintégrer le marché du travail et en reconnaissant que cela a pris, en réalité, vingt mois, le Tribunal se sent tout à fait à l’aise de lui accorder un délai de congé de cette durée.
[96] Nous précisons qu’en prenant cette décision, nous n’avons ni ignoré, ni négligé, la jurisprudence pertinente à ce sujet. Nous avons noté l’importance de son poste, la spécialisation de ses responsabilités, le nombre de ses années de service à RMQ et son âge, ainsi que l’effet de ces éléments lui rendant plus difficile la tâche de trouver un emploi d’importance semblable. Nous avons tenu compte des décisions et de la doctrine citées par les parties, lesquelles indiquent qu’un délai de congé entre douze mois et vingt-quatre mois aurait été approprié.