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Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Juliette Fucina

Dans une récente décision de la Cour supérieure, Gratton c. Chrono Aviation inc., un pilote d’avion obtient une indemnité d’un an après avoir travaillé à peine 2 semaines chez la défenderesse.

Le demandeur a été approché par le directeur des opérations de la défenderesse en octobre 2019 pour un poste de commandant de bord d’un Boeing B737. À ce moment, le demandeur travaillait chez Bombardier à titre de pilote d’essai et cumulait 28 975 heures de vol. Le 1er mars 2020, le demandeur quitte son emploi chez Bombardier afin de commencer ses fonctions chez la défenderesse le jour suivant.

Comme on le sait, le 13 mars 2020, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré dans la province. Le demandeur a alors été mis à pied par la défenderesse et finalement licencié, près d’un an plus tard, en mars 2021. Aucun motif de terminaison d’emploi n’a toutefois été indiqué au demandeur lors de ce licenciement. Pendant toute la période de mise à pied, le demandeur a assisté à maintes formations sans solde et a effectué les cours nécessaires au maintien de sa licence, dans l’objectif de reprendre ses fonctions chez la défenderesse.

Bien que la défenderesse soutienne que le licenciement résulte des conséquences économiques désastreuses liées à la pandémie, la Cour rejette cette prétention. Elle conclut plutôt à un licenciement sans cause juste et suffisante et octroie un délai de congé d’un an au demandeur.

Voyez la façon dont le juge a motivé sa décision :

[61] Le Tribunal conclut que, dans les circonstances, la COVID-19 n’est pas un motif justifiant le licenciement définitif de Gratton. Le Tribunal adopte à cet égard les motifs de la juge Lise Bergeron dans 9209-6817 Québec inc. c. Franchise MTY inc., alors qu’elle n’a pas accepté que l’arrivée de la COVID-19 justifie la terminaison d’un contrat de franchise :

[134] Jacques Paquet ne peut se dégager de ses obligations. La pandémie de la Covid- 19 n’est pas un cas de force majeure qui remplit les conditions « irrésistible », « imprévisible » et « extérieur », ne rendant pas possible l’exécution des obligations, alors que pour les premiers mois (15 mars au 20 juin 2020), les services de livraison et de prêts- à-emporter (take-out) sont demeurés accessibles.

[135] Bien que le contrat de franchise prévoie, à son article 11.3, que « les obligations imposées à l’une ou l’autre des parties en vertu [du] contrat sont suspendues par l’avènement de tout acte ou événement de force majeure », encore faudrait-il que, dans ce contexte d’opération de franchise Thaïzone, la pandémie de la Covid-19 et les décrets d’urgence sanitaire qui en découlent puissent être qualifiés de force majeure.

[136] Ce n’est pas la conclusion à laquelle en arrive le Tribunal.

[137] La situation des franchises Thaïzone ne rencontre pas, dans ce contexte de pandémie, le fardeau de preuve démontrant le caractère irrésistible.

[138] Bien que la pandémie de la Covid-19 puisse répondre au critère d’imprévisibilité, celle-ci a rendu l’exécution des obligations de 9209 plus difficile, plus contraignante, sans la rendre impossible de manière permanente.

(Références omises)

[62] Dans notre dossier, la reprise des activités de Chrono et l’embauche de nouveaux pilotes concomitante avec le licenciement de Gratton font échec à cet argument.

 (…)

[67] Toutefois, son âge, et surtout les conséquences d’avoir passé le cap des 65 ans pour un pilote, font en sorte qu’il lui est beaucoup plus difficile de retrouver un emploi comparable.

[68] Le critère le plus pertinent, de l’avis du Tribunal est, en l’espèce, celui de la sollicitation par Chrono.

[69] Gratton a refusé un poste chez Airbus. Il avait un poste d’instructeur et de pilote d’essai chez Bombardier. Malgré la pandémie, Alain Wongkee, employé d’Airbus, est venu témoigner qu’il n’y avait pas eu de mises à pied dans les postes qu’occupait Gratton.

[70] Ses plans étaient connus de Chrono. Il voulait travailler encore quelques années dans l’aviation, avant de prendre sa retraite définitive. Son désir de voler l’a convaincu de se joindre à Chrono.

[76] Cela dit, considérant l’âge de Gratton, son expérience, la difficulté connue qu’il trouvera à se replacer, les représentations qui lui ont été faites, Chrono connaissant sa situation chez Bombardier, et la durée de son emploi chez Chrono, la Tribunal estime qu’un délai de congé d’un an est approprié dans les circonstances.