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Un directeur général adjoint obtient 3 mois d’indemnité de départ pour un an à l’emploi

 

 

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

Dans la cause de la Cour supérieure Petitpas c. Mont-Bleu Ford inc., un directeur général adjoint de 39 ans engagé depuis un an s’est fait congédier à la suite d’une mésentente sur ses conditions salariales et son contrat de travail.

Ledit DGA était essentiellement payé par commissions sur les profits générés par l’entreprise. Au départ, l’entente semblait profitable, mais certains aléas fiscaux ont diminué les profits à un moment donné, de telle sorte que l’employé n’était plus tout à fait satisfait de l’entente. Il semble y avoir eu des gestes de rupture de part et d’autre, mais au final, le juge conclut au congédiement.

Ainsi, en vous épargnant la majeure partie du jugement qui porte sur l’interprétation des conditions d’emploi, voici le passage clé où on octroie au directeur général une indemnité de départ de 3 mois, alors qu’il aura pris 5 mois à se trouver un nouvel emploi. On en comprend qu’il n’avait pas tout à fait mitigé son préjudice:

 

 

 

[124]     L’article 2091 C.c.Q. prévoit le droit pour chaque partie à un contrat de travail à durée indéterminée d’y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé et énonce des critères d’appréciation pour déterminer la durée d’un délai de congé :

Art. 2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.

Critères. Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail. 

[125]      Ces critères ne sont pas exhaustifs et chaque cas dépend de ses propres circonstances. Dans Atwater Badminton and Squash Inc. c. Morgan[11], la cour d’appel a rappelé le cadre d’appréciation du caractère raisonnable d’un délai congé :

[14]     Les critères devant être considérés dans la détermination du délai de congé raisonnable sont multiples. Pour l’essentiel, ce délai varie en fonction des circonstances propres à chaque espèce. L’opinion du juge Baudouin, toujours d’actualité, résume de façon fort pertinente la vocation indemnitaire du délai de congé :

[…] Ce qui constitue un délai-raisonnable, dans l’hypothèse d’un contrat à durée indéterminée, est essentiellement une question de fait qui varie avec les circonstances propres à chaque espèce, à partir d’un certain nombre de paramètres connus : nature et importance de la fonction; abandon d’un autre emploi pour l’acquérir; âge, nombre d’années de service et expérience de l’employé; facilité ou difficulté de se retrouver une occupation identique ou similaire; recherche subséquente d’un travail; existence ou inexistence de motifs sérieux au congédiement. […]

En la matière, comme d’ailleurs dans biens d’autres, il est particulièrement difficile pour une Cour d’appel de substituer sa propre opinion et sa propre évaluation à celles du juge de première instance, qui a vu et entendu les témoins, a apprécié l’ensemble de la preuve dont le dossier d’appel ne révèle parfois qu’une partie. Je fais miens sur ce point les commentaires de mon collègue, M. le juge Fred Kaufman, dans l’affaire Steinberg’s Ltd c. Lecompte, [1985] C.A. 223.

           [références omises]

[15]     Dans l’affaire Standard Radio c. Doudeau[8], le juge Baudouin a aussi précisé que la détermination de l’indemnité ne doit pas constituer un calcul mathématique, mais plutôt une appréciation subjective des circonstances y compris une évaluation des aspects humains de l’affaire.

[16]     Plus récemment, le juge Jean Bouchard faisait le point sur la raisonnabilité du délai de congé :

[52]    En guise de rappel théorique, je propose de revenir en premier lieu sur la vocation indemnitaire du délai-congé, lequel a pour but, en ce qui concerne l’employé, « de lui permettre d’avoir un temps raisonnable pour se retrouver un emploi [équivalent] sans encourir de perte économique ». Ceci ne signifie pas que le délai-congé doit équivaloir au temps requis pour se replacer sur le marché du travail. Le délai-congé doit s’apprécier également au regard du droit de l’employeur de mettre fin au contrat de travail, lequel droit pourrait être compromis si le délai-congé octroyé est trop long.

[53]     L’article 2091 C.c.Q. parle plutôt d’un délai raisonnable, chaque cas étant un cas d’espèce devant être évalué en fonction des différents critères énumérés à cet article et développés par la jurisprudence. Les plus souvent invoqués sont les suivants:

▪  la nature et l’importance du poste occupé par l’employé, l’idée étant que plus le poste sera important, plus le délai-congé sera long;

▪  le nombre d’années de service de l’employé. Plus ce dernier sera ancien dans l’entreprise, plus le délai-congé sera long;

▪  l’âge de l’employé. Plus l’employé sera âgé, plus on présume qu’il lui faudra du temps pour se replacer sur le marché du travail et plus son délai-congé sera long;

▪  les circonstances ayant mené à son engagement. Un employé, par exemple, qui est sollicité et qui laisse un emploi rémunérateur et certain aura droit à un délai-congé plus long que celui qui est sans emploi ou dont l’emploi est incertain;

▪  la difficulté de se trouver un emploi comparable. Plus cette difficulté sera grande, plus le délai-congé sera long.

[54]    Chose fondamentale à ne pas oublier, aucun de ces critères ne doit être examiné isolément. C’est dans une perspective globale qu’ils doivent être pris en compte, ce qui constitue un délai-congé raisonnable étant « essentiellement une question de fait qui varie avec les circonstances propres à chaque espèce ».[9]

[126]     M. Petitpas a été embauché par Mont-Bleu Ford dans un contexte où il se cherchait un emploi et qu’il était sur le point d’être mis à pied. C’est lui qui a approché Mont-Bleu Ford sans convoiter un poste en particulier. Il cherchait une opportunité d’emploi.

[127]     Le poste occupé par M. Petitpas était toutefois assez important puisqu’à titre de directeur général adjoint, il secondait le fils de M. Petric père qui est directeur général. La relation contractuelle a toutefois été de courte durée, soit 4 mois.

[128]     M. Petitpas a 39 ans et il a une expérience variée dans divers domaines. Il a donc un bon profil d’employabilité. Dans les faits, il a trouvé un emploi un peu plus de cinq mois après la fin de son emploi chez Mont-Bleu Ford. 

[129]     Mont-Bleu Ford allègue que M. Petitpas n’a pas mitigé ses dommages parce qu’il n’a pas fait les efforts nécessaires pour se trouver un nouvel emploi rapidement, mais le Tribunal ne retient pas cette allégation.

[130]     M. Petitpas a affirmé qu’après son expérience chez Mont-Bleu Ford, il ne voulait plus travailler dans le milieu de la vente de véhicules automobiles. Ce choix lui appartient.

[131]     Il a fait des recherches d’emploi et pendant plusieurs semaines, il a poursuivi des discussions qui semblaient prometteuses avec un employeur américain. Malheureusement, le processus n’a pas abouti. Il aurait peut-être dû être plus prudent et poursuivre activement sa recherche d’emploi auprès d’autres employeurs potentiels en parallèle. Par la suite, M. Petitpas a toutefois poursuivi ses recherches jusqu’à ce qu’il trouve un emploi en avril 2017.

[132]     En considérant l’ensemble des circonstances, le Tribunal estime qu’une indemnité tenant lieu d’un délai de congé équivalent à 3 mois de salaire est raisonnable.

[133]     Les parties conviennent que le salaire qui doit être pris en considération pour calculer l’indemnité tenant lieu de délai de congé correspond à la moyenne mensuelle des commissions reçues par M. Petitpas.