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Un cadre et gestionnaire d’une grande société énergétique est réintégré dans ses fonctions après un congédiement

 

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

Dans la cause très récente du Tribunal administratif du travail Barry c. Hydro-Québec, un gestionnaire et cadre d’expérience dépose plusieurs plaintes à la CNESST contre son employeur, suivant un congédiement.

Selon l’employeur, le cadre doit améliorer ses performances de gestion vu une insatisfaction dans son équipe, et lui fournira un « plan d’accompagnement ». Ce dernier s’absentera ensuite du travail en 2018, puis doit y revenir environ 6 mois plus tard suivant un retour progressif. Dans l’intervalle, il aura déposé une plainte pour harcèlement psychologique. L’employeur lui fera subir les représailles de celles-ci, le congédiant finalement, menant à des plaintes en pratique interdite et en congédiement sans cause juste et suffisante.

Plusieurs composantes des fins d’emploi dont nous discutons régulièrement dans ce blogue valent la peine d’être vues de plus près dans ce jugement, mais nous nous attarderons sur la question de la plainte pour pratique interdite. Comme les lecteurs récidivistes de ces lignes le sauront, une fois établie la concomitance entre l’exercice d’un droit par l’employé et la mesure de représailles, il y a une présomption établie en faveur de l’employé et l’employeur doit ensuite prouver que les mesures ont été prises pour des raisons extrinsèques à l’exercice dudit droit.

L’employeur ne se décharge pas ici du fardeau ainsi inversé.

Voyez la façon dont le juge administratif motive sa décision :

 

 

[195]   Repousser la présomption légale est exigeant, tel que l’affirme la Cour suprême[20] :

[48]   Le recours fondé sur les art. 15 à 17 vise à traiter, selon une procédure sommaire, les plaintes des salariés qui allèguent avoir subi une suspension, un congédiement ou une autre sanction pour avoir participé à des activités syndicales.  La présomption trouve facilement application, dès qu’il est démontré que le salarié a participé à une activité syndicale quelconque. Elle est difficile à réfuter. Comme l’a souligné la Cour d’appel du Québec dans Silva c. Centre hospitalier de l’Université de Montréal — Pavillon Notre‑Dame, 2007 QCCA 458, [2007] R.J.D.T. 363, au par. 4, le moindre antisyndicalisme qui entache une décision procédant de « motifs multiples » contrera la défense de l’employeur, même en présence d’autres raisons valables d’imposer la sanction :

[D]ès que la sanction procède d’un motif illicite, ou que celui‑ci cohabite avec un autre motif qui lui est licite, alors la présomption de l’article 17 du Code du travail n’est pas repoussée.  [Je souligne.]

La Cour d’appel a cité à l’appui de cette conclusion la remarque du professeur Gagnon selon laquelle « il n’y aura pas lieu pour la C.R.T. de départager les considérations licites et illicites qui ont pu concourir dans la motivation de l’employeur. La décision entachée d’un motif illégal est irrémédiablement viciée, sans qu’il soit question de déterminer si le motif illégal a été déterminant » (Le droit du travail du Québec (5e éd. 2003), p. 274‑275 (je souligne)).

[49]     De même, la CRT a statué dans St‑Hilaire c. Sûreté du Québec, 2003 QCCRT 559, [2003] D.C.R.T.Q. no 559 (QL), que l’employeur ne pouvait avoir gain de cause lorsque le dépôt d’un grief par le salarié avait influé sur sa décision de ne pas renouveler son contrat et ce, malgré l’existence d’autres motifs légitimes.  La CRT a statué que « dès qu’un motif illégal participe à la décision de congédier, il modifie la nature même de cette décision qui ne peut, dès lors, être jugée juste et suffisante. Par analogie, si l’on verse, dans un vase d’eau, ne serait‑ce qu’une goutte de poison, “cela a pour effet de contaminer irrémédiablement toute l’eau du vase” » (par. 139).  Voir également : Jalbert c. Sobeys Québec, 2007 QCCRT 608, [2007] D.C.R.T.Q. no 608 (QL), par. 38, et Arsenault c. C & D Aerospace inc., 2006 QCCRT 654, [2006] D.C.R.T.Q. no 654 (QL), par. 120.  Aucune de ces décisions ne concernait la fermeture d’une entreprise.  Du point de vue des salariés, le fait qu’il suffit que la décision procédant de motifs multiples soit simplement « entachée » facilite considérablement la preuve contre l’employeur.

[Nos soulignements]

[196]   Premièrement, monsieur Barry s’élève contre la discussion du 11 septembre 2018 lors de laquelle on cherche à obtenir sa version des faits en lien avec les manquements constatés durant son absence, lui dit-on, et dont on lui fait grief.

[197]   Certes, un employeur peut confronter de bonne foi un salarié par rapport à des fautes qu’il aurait commises. C’est ce qu’Hydro-Québec invoque ici pour renverser la présomption légale, estimant qu’elle n’a fait que confronter le plaignant sur ces faits.

[198]   Pour le Tribunal, un employeur doit exercer son droit de direction de façon raisonnable. Le contexte et l’ensemble des circonstances participent de cette appréciation.

[199]   Ici, on se doit de constater que la façon dont Hydro-Québec agit vis-à-vis d’un cadre de premier niveau est cavalière. Il revient d’un congé de maladie. On ne s’informe pas de son état. On le prend par surprise, en lui lançant des accusations qui sont graves, du moins en apparence.

[200]   Plus encore, alors qu’il a fait durant son absence une dénonciation en lien avec la Règle de gestion, on ne lui en parle pas alors qu’il demande des mesures temporaires, faut-il le rappeler.

[201]   Qui plus est, on prétend avoir appris pendant son absence qu’il aurait médit contre sa supérieure immédiate, alors que cette dernière témoigne à l’audience avoir eu ouï-dire de cela avant son départ en congé de maladie. Il n’en a pourtant pas été question à ce moment-là.

[202]   Enfin, on sait qu’une fois que monsieur Barry a livré sa version des faits une semaine plus tard, il n’y a absolument aucune vérification de ce qu’il a dit qui a été faite par Hydro-Québec. Même s’il s’agit de faits postérieurs à la rencontre du 11 septembre, ces faits sont pertinents puisqu’ils permettent de donner un éclairage sur la cause juste et suffisante qu’invoque Hydro-Québec.

[203]   Pour ces raisons, la rencontre du 11 septembre constitue une mesure de représailles imposée en raison de l’exercice, par monsieur Barry, de droits lui résultant de la LNT.

[204]   Deuxièmement, le 19 septembre 2018, alors que monsieur Barry est toujours chez lui dans l’attente qu’on lui revienne avec les prochaines étapes, l’isolement perdure. Mais cette fois-ci, c’est pour qu’il réponde aux questions en lien avec la plainte de harcèlement qu’il a déposée en juin en application de la Règle de gestion. Il est pour le moins curieux qu’on isole de son milieu de travail une personne dénonciatrice de harcèlement psychologique.

[205]   Dans ce contexte et pour ce seul fait, il existe indubitablement un lien de cause à effet entre la dénonciation de harcèlement, qui constitue l’exercice d’un droit suivant la LNT, et le fait qu’on le renvoie chez lui, dans l’isolement, pour une période indéfinie, rappelons-le.

[206]   Il n’appartient pas au Tribunal de départager les différentes considérations qui ont pu amener Hydro-Québec à agir ainsi. Du seul fait d’avoir considéré un motif illicite, la décision patronale est viciée de façon irrémédiable.

[207]   Par conséquent, la présomption n’est pas repoussée par Hydro-Québec. On doit donc retenir qu’elle a agi illégalement vis-à-vis de monsieur Barry.

[208]   La plainte de pratique interdite est accueillie.