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Retour dans le temps – l’arrêt Asphalte Desjardins : si un employé, dirigeant ou autre, donne un préavis quant à sa date de démission, on ne peut mettre fin son emploi immédiatement

 

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

Nous revoyons aujourd’hui une cause phare de 2014 de la Cour suprême du Canada intitulée Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins.

Les faits de la cause sont plutôt simples, et admis de toutes les parties. Un gestionnaire de projets qui était à l’emploi d’une compagnie de pavage depuis 14 ans donne sa démission pour aller joindre un compétiteur. Il donne un préavis (le « délai de congé » en droit civil québécois) de 3 semaines à son employeur, ce premier le jugeant satisfaisant pour une transition ordonnée. Après avoir tenté de le convaincre de rester, son employeur met plutôt fin à son emploi le lendemain.

Est-ce que celui-ci pouvait agir ainsi?

Si le délai de congé donné par l’employé est raisonnable (c’était le cas dans la cause qui nous occupe), la réponse est clairement non.

En effet, le contrat de travail à durée indéterminée n’est rompu qu’à l’expiration du délai de congé donné par l’employé.

Que les employeurs se rassurent, ils peuvent tout de même demander à un employé qui aurait donné son préavis raisonnable de demeurer chez lui, tant que l’employeur continue à le payer pendant la période de délai de congé.

Voyez la façon dont la Cour suprême du Canada motive sa décision, sous la plume du juge Wagner :

 

 

[40]                          L’employeur qui précipite la fin du contrat après qu’un salarié lui a donné un délai de congé n’effectue pas une « renonciation », mais bien une résiliation unilatérale du contrat de travail, ce qui n’est autorisé que suivant les modalités prévues par la loi (art. 1439 et 2091 C.c.Q.). En « renonçant » au délai de congé qu’un salarié lui donne, l’employeur empêche le salarié de fournir sa prestation de travail et cesse de le rémunérer, manquant ainsi aux obligations contractuelles auxquelles il est tenu jusqu’à l’expiration du délai de congé. En l’espèce, comme l’exprime avec justesse le juge Pelletier, au par. 36 de ses motifs, « [j]usqu’à ce que cette date arrive, seule une entente, et non un geste unilatéral, [peut] libérer les parties de leurs obligations. »

[41]                          En somme, un employeur qui reçoit d’un salarié le délai de congé prévu à l’art. 2091 C.c.Q. ne peut mettre fin unilatéralement au contrat de travail à durée indéterminée sans donner à son tour un délai de congé ou une indemnité qui en tient lieu. Le délai de congé donné par le salarié n’a pas pour effet de libérer immédiatement les parties de leurs obligations respectives découlant du contrat de travail. Si l’employeur refuse de laisser le salarié fournir sa prestation de travail et de le rémunérer pendant le délai de congé, il se trouve à « mettre fin au contrat » au sens de l’art. 82 de la Loi sur les normes du travail.

[42]                          Contrairement à la majorité de la Cour d’appel, je ne peux me résoudre à conclure que le principe général selon lequel le contrat se poursuit pendant le délai de congé connaît une exception lorsque la partie qui reçoit le délai de congé y renonce. Avec égards, si on accepte cette conclusion, il faut également reconnaître que c’est la partie qui « renonce » au bénéfice du délai de congé qui met fin unilatéralement au contrat, avec les conséquences que cela emporte pour l’employeur.

[43]                          Je suis d’accord avec la juge Bich lorsqu’elle affirme, au nom de la majorité de la Cour d’appel, que le délai de congé n’est pas porteur d’une obligation synallagmatique qui lierait la partie qui le reçoit (par. 56). C’est en raison du contrat de travail à durée indéterminée que les parties ont des obligations réciproques : ayant été avisée de la date à laquelle une partie souhaite mettre fin à ce contrat conformément à l’art. 2091 C.c.Q., la partie cocontractante qui s’y oppose (en l’occurrence l’employeur) devra à son tour donner un délai de congé conformément à l’art. 2091 C.c.Q.

[44]                          Bien sûr, on ne peut « imposer » à l’employeur le délai de congé décidé unilatéralement par le salarié. Un employeur peut refuser qu’un salarié se présente sur les lieux de travail pour la durée du délai, mais il doit néanmoins le rémunérer pour cette période, dans la mesure où le délai de congé fourni par le salarié est raisonnable. L’employeur peut également choisir de mettre fin au contrat moyennant un délai de congé raisonnable ou une indemnité correspondante, le tout conformément à l’art. 2091 C.c.Q. et en vertu des art. 82 et 83 de la Loi sur les normes du travail (F. Morin, « Démission et congédiement : la difficile parité des règles de droit applicables à ces deux actes » (2013), 43 R.G.D. 637, p. 651; voir également F. Morin et autres, Le droit de l’emploi au Québec (4e éd. 2010), par. II-179; N.-A. Béliveau, avec la collaboration de M. Ouellet, Les normes du travail (2e éd. 2010), p. 364).