Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans Sbai c. Panthera Dentaire inc., on trouve une foule d’information intéressante en matière de fin d’emploi. Nous l’avons déclinée en quatre billets, dont le quatrième (celui-ci!) traite des fameuses transaction-quittance que les employeurs tentent parfois d’obtenir de leurs ex-employés, souvent au moment même où ils sont congédiés.
Dans notre cas, le travailleur est gestionnaire aguerri dans le domaine du commerce international ayant travaillé pour moult compagnies de grande envergure. Il est recruté pour l’employeur par le biais d’une firme de recrutement. Il doit déménager de Montréal à Québec pour son nouvel emploi, en plus de quitter un emploi rémunérateur et stable. Deux mois après son embauche, l’employé se fait cavalièrement montrer la porte – on lui argue qu’il n’est pas un bon fit et on ne lui explique jamais tout à fait les raisons de son renvoi.
Le travailleur est dans tous ses états lors de l’annonce du congédiement, et on lui fait signer une transaction-quittance en échange d’un mois d’indemnité de départ.
Malgré cette signature, le juge estime qu’elle est frappé de nullité. Ainsi, bien qu’il s’agisse d’une transaction-quittance selon l’article 2633 C.c.Q. (et que le travailleur ai compris le but du document), l’article 2092, propre au contrat de travail, tempère l’absolutisme de l’article 2633 :
[93] En l’espèce, la preuve démontre que Sbai, en signant l’entente de départ, comprenait qu’il quittait son emploi et recevait une indemnité de départ. En contrepartie, il donnait une quittance complète et finale à Panthera :
J’ai lu le présent document et je comprends qu’il renferme une renonciation totale et définitive à toutes les réclamations que j’ai ou que je pourrais avoir à l’encontre des bénéficiaires de la présente renonciation. Je comprends que je décharge Panthera Dental de toutes actions, causes d’action, poursuites et plaintes découlant de mon embauche, de mon emploi ou de la cessation de mon emploi. Je signe le présent document de mon plein gré.
[94] Pour Panthera, cette clause par laquelle Sbai renonce à « prendre action » de quelque nature que ce soit est opposable à ce dernier, faisant ainsi référence à l’article 2633 C.c.Q. et à l’autorité de la chose jugée :
- La transaction a, entre les parties, l’autorité de la chose jugée.
La transaction n’est susceptible d’exécution forcée qu’après avoir été homologuée.
[95] Or, l’article 2092 C.c.Q. vient tempérer l’élan des employeurs qui seraient tentés d’empêcher toute contestation lorsqu’il s’agit d’une transaction relative au lien d’emploi, ou d’empêcher l’employé d’obtenir réparation dans le cas où le délai-congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive :
- Le salarié ne peut renoncer au droit qu’il a d’obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu’il subit, lorsque le délai de congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive.
[96] À cet égard, rappelons que cette disposition est d’ordre public et, qu’au surplus, elle doit recevoir une interprétation large et libérale :
[62] Elle « vise manifestement à accorder une protection aux salariés » du fait « que le salarié est dans une situation particulièrement vulnérable lorsqu’il est menacé de congédiement ».
[63] Pour tout dire, la personne salariée se trouve alors « dans une situation d’infériorité en matière de négociations » :
Le moment où il y a rupture de la relation entre l’employeur et l’employé est celui où l’employé est le plus vulnérable et a donc le plus besoin de protection.
[64] Cette « vulnérabilité du salarié par rapport à l’employeur » constitue le fondement même de l’article 2092 C.c.Q., lequel tend à « protéger le travailleur vulnérable et à rétablir l’équité contractuelle »
[97] En l’espèce, l’état de vulnérabilité dans laquelle se trouvait Sbai le matin de son congédiement est supporté largement par la preuve.
[98] Précisons à cet égard que, lors de son congédiement, Sbai fut informé par Planche qu’un document préalablement complété par Robichaud devait être signé par lui, lequel ne faisait aucunement mention d’un délai-congé. Ce n’est qu’après avoir insisté pour s’entretenir avec Robichaud et après l’avoir attendu pendant près d’une heure trente que ce dernier a accepté de remettre à Sbai un chèque représentant un mois de sa rémunération de base annuelle (125 000 $), à la condition expresse qu’il signe l’entente de départ, sans autre délai, ni possibilité de consultation ou de réflexion. Robichaud estime sa décision correcte, étant conforme à la clause de résiliation de contrat prévu au contrat de travail.
[99] Ce faisant, l’analyse des circonstances entourant le congédiement de Sbai, laissent voir une personne en position de vulnérabilité, alors qu’il peine à évaluer de façon objective toutes les conséquences du renvoi sur sa famille et sa vie professionnelle. Comme mentionné précédemment, il est sous le choc et le Tribunal ne peut conclure qu’il a renoncé en toute connaissance de cause.
[100] Par conséquent, le Tribunal estime que la transaction contrevient à l’art. 2092 C.c.Q., faisant en sorte que celle-ci (entente de départ) est frappée de nullité et ne peut être opposable à Sbai. Elle est donc réputée n’avoir jamais existée.