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Offrir un poste pour le retirer aussitôt : la cour tranche en faveur d’un cadre intermédiaire

Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Juliette Fucina

Dans une décision récente de 2024, Vaes c. Service d’administration PCR ltée, la Cour supérieure s’est penchée sur les circonstances entourant le congédiement d’un cadre intermédiaire, notamment afin de déterminer si le demandeur a été congédié sans cause juste et suffisante et, dans l’affirmative, pour établir l’indemnité à laquelle il peut prétendre.

Le demandeur a travaillé près de trois ans pour le Groupe Robert inc., une grande entreprise de transport dans la province. En janvier 2020, alors qu’il envisageait de quitter l’entreprise, le demandeur s’est vu offrir un poste de directeur dans le secteur du transport spécialisé, alors en crise. Séduit par l’offre et les promesses faites par le directeur des opérations, le demandeur a entrepris ses nouvelles fonctions le 27 janvier 2020. Cependant, à peine trois jours plus tard, le directeur des opérations lui a annoncé avoir commis une erreur en le promouvant à ce nouveau poste. Le demandeur a ensuite été laissé dans l’incertitude pendant plusieurs mois avant d’être formellement congédié par courriel en août 2020.

Le demandeur soutient avoir été congédié sans cause juste et suffisante, de manière brutale, injustifiée et humiliante ce qui justifierait l’octroi d’une indemnité de départ équivalente à six mois de salaire. Quant à la défenderesse, elle soutient que le congédiement est intervenu pour des motifs sérieux, notamment en raison de conflits de personnalité et de performances insuffisantes de la part du demandeur. Elle affirme que l’offre de huit semaines de salaire qui lui a été formulée est généreuse et adéquate dans les circonstances.

La Cour ne peut retenir les prétentions de la défenderesse. Celle-ci n’a pas démontré l’existence de motifs sérieux justifiant le congédiement sans préavis du demandeur. Aucun motif ne lui a été donné tant au mois de janvier qu’au mois d’août 2020. À la lumière de ces éléments, la Cour conclut qu’il est justifié d’octroyer une indemnité de trois mois, soit un mois par année de service.

Voyez plus spécifiquement la façon dont la juge a motivé sa decision :

 

[189]     D’entrée de jeu, il y a lieu de conclure, que l’employeur a échoué, dans sa démonstration de l’existence de motifs sérieux, le justifiant d’avoir congédié Vaes, sans lui avoir donné un préavis suffisant à cet effet, au préalable.

(…)

[190]     À partir du moment, où Lacharité retire Vaes de la nouvelle chaise où il l’a envoyé, une semaine avant le 31 janvier 2020, personne ne donne de motifs à cet employé, pour expliquer la volte-face dont il est victime, et ce, jusqu’à ce qu’on le congédie, plus de six mois plus tard. Cela en dit long.

[191]     Le 6 août 2020, sa lettre de congédiement n’indique absolument rien, en guise de motif de congédiement. Cela en dit encore long.

[192]     Le témoignage de Marineau, qui a eu de brefs échanges avec Vaes, et qui lui a laissé des messages, à cette époque, n’apporte aucun éclairage pouvant nous laisser croire, qu’il a donné un quelconque son de cloche à Vaes, sur ce qui justifiait son congédiement, et Vaes confirme n’avoir rien su, à ce moment. 

[193]     La seule chose, que nous avons, provient du témoignage de Marineau, qui déclare qu’il détenait des informations, sur la performance de Vaes, qu’il avait obtenues de tiers, à l’époque, selon ce qu’il nous déclare aujourd’hui; il faut croire, qu’il a alors préféré les garder pour lui-même, plutôt que de le partager avec Vaes, lorsqu’il a écrit la lettre dans laquelle il lui donne son dernier coup de grâce. 

[194]     Ce n’est que dans les moyens de défense de l’employeur, plus d’un an après le congédiement, que Vaes en apprend un peu plus, sur ce qui aurait motivé son congédiement, en lisant les reproches et insinuations, contenus dans cet acte de procédure, qui rappelons-le, est déposé dans un dossier public; il n’a jamais entendu parler de ces motifs par quiconque, auparavant.

[195]     C’est à partir de ce moment, qu’il apprend, qu’on l’aurait muté à l’amélioration continue, parce que « ses services ne donnaient pas satisfaction », que ses évaluations (qui sont bonnes) n’étaient pas conformes aux pratiques en vigueur, ce qui laisse entendre, qu’elles étaient biaisées, bref, que son travail était médiocre, et qu’il était incompétent, sa dernière fonction ayant même été qualifiée, « d’échec ». 

[196]     Voilà des propos blessants et humiliants, surtout, lorsqu’ils s’avèrent fondés uniquement sur des rumeurs, à la fin de l’exercice.

[197]     En lisant la défense de son employeur, Vaes peut aussi comprendre, qu’il aurait dû se compter chanceux, d’être demeuré à l’emploi du Groupe Robert, aussi longtemps, car cela n’était pas dû à son talent, mais aux liens privilégiés, qu’il entretenait avec Lacharité. Autrement, la médiocrité de ses services, et son incapacité à interagir, avec quiconque, n’auraient pas fait en sorte, que son employeur accepte de le trimballer, d’un poste à un autre.

(…)

[257]     Après avoir évalué la nature des fonctions occupées par Vaes, le temps qu’il a passé, au sein de l’entreprise, son âge, et les démarches qu’il a faites, pour trouver un autre emploi, nous considérons que l’employeur aurait dû lui donner un préavis de trois mois, soit d’un mois par année de service, vu l’admission de l’employeur, que Vaes était un cadre intermédiaire[80], et vu ses représentations, que la règle « du pouce » est celle applicable, et qu’elle a pour effet de reconnaître le bien-fondé d’une indemnité équivalant à un mois de salaire, par année de service, comme étant raisonnable, lorsqu’un employé qui n’est pas seulement un « salarié ordinaire », quitte ses fonctions. 

(…)

[260]     Maintenant, sur quelle base doit-on calculer cette indemnité ? Est-ce sur le revenu coorespondant à 105 000 $, que Vaes a gagné, pour une semaine, ou sur la base de  son revenu de 85 265,46 $, qu’il avait, lorsqu’il était à l’amélioration continue, où il a été retourné, et où il a fini son règne, lors de son congédiement ?

[261]     Bien qu’il soit tentant d’opter pour le revenu le plus élevé, puisque la rétrogradation, dont Vaes a été victime, n’a jamais été justifiée par l’employeur, en lien avec l’exécution de sa prestation de travail, il est plus conforme à la réalité, de calculer l’indeminté à laquelle il a droit, sur la base de ce qu’il gagnait, sur papier, selon le titre d’emploi indiqué à son dossier d’employé, lorsqu’il a été licencié, et qui était le même, qu’au moment de son congédiement, soit 85 265,46 $.

[262]     Cela fait donc une indemnité de 21 316, 37 $.