Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Juliette Fucina
Les critères de validité d’une clause de non-concurrence en matière de contrat de travail sont bien établis, mais qu’en est-il de leur validité lorsqu’elles sont incluses dans un contrat de service? C’est l’une des questions sur lesquelles la Cour supérieure s’est penchée dans l’affaire Mussel c. Alliance, Assurance et services financiers inc., qui fait l’objet du présent billet.
Dans cette décision, les parties ont signé en 2002 un contrat de service par lequel les demanderesses étaient autorisées à solliciter et à obtenir des propositions de contrats de services financiers offerts par la défenderesse. Or, en 2015, cette dernière a décidé de mettre fin au contrat la liant aux demanderesses en leur octroyant un préavis de terminaison et en rachetant les droits de représentation de leur clientèle, tel que le permettaient les termes du contrat. La défenderesse a toutefois réduit les paiements dus pour ce rachat, au motif que les demanderesses auraient enfreint les clauses de non-concurrence contenues dans le contrat de service et de cession.
Les demanderesses plaident que les clauses de non-concurrence sont contraires à l’ordre public, puisqu’elles ne contiennent aucune limitation géographique et ainsi restreignent indûment leur droit d’exercer leur profession.
Après analyse, c’est cette prétention des demanderesses que la Cour retient. En effet, bien qu’un contrat de service ne soit pas soumis aux dispositions applicables aux contrats de travail, l’absence de limitation géographique dans une clause de non-concurrence suffit pour conclure à son invalidité.
Voyez plus spécifiquement la façon dont le juge a motivé sa décision :
[194] Une clause de non-concurrence ne répond pas aux mêmes règles, selon qu’elle soit incluse dans un contrat d’emploi ou dans un contrat commercial, comme c’est le cas ici. Par exemple, en matière de contrat d’emploi, le Code civil prévoit que pour être valide, une clause de non-concurrence doit être limitée quant au temps, au lieu et au genre de travail, à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur. Cette disposition n’est pas directement applicable à un contrat de service ou à un contrat commercial, comme une vente d’entreprise.
[195] En matière commerciale, c’est à celui qui allègue le caractère déraisonnable d’une clause de non-concurrence qu’incombe le fardeau de la preuve. Dit autrement, une telle clause dans un contrat commercial « est légale à moins que l’on puisse établir, par une preuve prépondérante, qu’elle est déraisonnable quant à sa portée. »
[196] Comme l’enseigne la Cour suprême du Canada, en « matière commerciale, un engagement de non-concurrence sera jugé raisonnable et légal à la condition d’être limité, quant à sa durée, à son territoire et aux activités qu’il vise, à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de la partie en faveur de laquelle il a été pris. » En effet, « la jurisprudence québécoise considère les clauses de non-concurrence comme contraires à l’ordre public, parce que contraires à la liberté de travail, « lorsqu’elles sont inéquitables et ne contiennent pas de limites raisonnables quant au territoire, à la durée et au genre d’activités interdites par la clause, eu égard aux circonstances. »
[197] La validité d’une clause de non-concurrence dépendra donc du contexte de la conclusion du contrat dans lequel figure la clause. « Chaque cas doit être examiné en fonction des circonstances qui lui sont propres. » De l’avis du Tribunal, le fait que la clause de non-concurrence soit incluse dans un contrat d’adhésion militera en faveur de l’adhérent, qui n’a eu aucune possibilité d’en négocier la teneur.
[198] En ce qui concerne la portée territoriale de la clause, il est reconnu qu’une « clause de non-concurrence qui excède le territoire des activités de l’entreprise est contraire à l’ordre public. » Une clause ne contenant pas de limite quant au territoire couvert sera donc jugée invalide.
[199] Une clause de non-concurrence est valide ou elle ne l’est pas. Il n’appartient pas au Tribunal de combler les lacunes et de réécrire la clause. Si la clause n’est pas considérée raisonnable, elle est réputée non-écrite, puisque contraire à l’ordre public.
[216] Les clauses de non-concurrence attaquées par Cabinet et Mussel ne contiennent aucune limitation géographique. Ce seul fait est suffisant, à la lumière des autorités applicables, pour conclure à leur invalidité. Le Tribunal prononcera donc la nullité des clauses de non-concurrence contenues au contrat de service et au contrat de cession.