Par Me Paul-Matthieu Grondin avec la collaboration de Soukaina Ouizzane
Dans une récente décision de la Cour supérieure, Leblanc c. APN inc., le Tribunal devait principalement déterminer si l’employeur, une entreprise œuvrant dans la fabrication et distribution de pièces dans le domaine médical et scientifique, avait démontré l’existence de motifs sérieux justifiant le congédiement immédiat du plaignant, le dispensant ainsi de lui verser l’intégralité de l’indemnité de départ prévue à son contrat de travail.
En novembre 2019, l’employeur a embauché le plaignant au poste de vice-président aux ventes et marketing. Ce dernier s’occupait principalement de la vente et de la mise en marché des produits d’APN à l’international.
En avril 2023, son employeur procède à son congédiement et refuse de lui verser la totalité de son indemnité de départ, invoquant deux motifs à l’appui de sa décision.
Premièrement, il lui reproche d’avoir manqué à son obligation de loyauté en omettant d’aviser le dirigeant principal des insatisfactions relatives à des valves défectueuses fournies à un client, et de prendre les moyens raisonnables pour remédier à la situation. En réponse, le plaignant présente un courriel de 47 pages ainsi qu’un tableau de 29 pages expliquant la situation des valves d’intérêt et l’étendue des mesures qu’il a prises pour résoudre ce problème. Après analyse, le Tribunal estime que le plaignant n’a jamais manqué à son obligation de loyauté envers l’entreprise et qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour corriger la situation, et ce, même si la production des valves n’entrait pas dans son éventail de responsabilités. Il est également constaté qu’aucune directive ne régissait la communication entre les vice-présidents et le dirigeant principal. De plus, les autres employés impliqués dans la résolution de ce problème n’ont fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire.
Deuxièmement, l’entreprise reproche au plaignant de ne pas avoir augmenté les prix de vente pendant environ quatre ans, contrairement à ce qui aurait été convenu. À cet égard, le plaignant soutient qu’il se trouvait dans une situation délicate : une hausse des prix aurait pu entraîner la perte de clients au profit de concurrents offrant des prix plus avantageux. Il a donc choisi de maintenir les prix de vente. Cette stratégie a néanmoins permis d’augmenter les commandes et, par le fait même, le chiffre d’affaires de l’entreprise.
Le Tribunal retient qu’aucun des deux manquements invoqués par l’employeur ne constitue un motif suffisamment grave et sérieux pour justifier un congédiement sans préavis ni le versement intégral de l’indemnité de départ.
En conclusion, après avoir évalué l’ensemble des demandes du plaignant, le Tribunal ordonne à APN de verser au plaignant la somme de 108 468 $, comprenant le solde de l’indemnité de départ prévue à son contrat.
Voyez plus spécifiquement la façon dont le juge a motivé sa décision :
- APN démontre-t-elle un motif sérieux justifiant le congédiement de Michel Leblanc sans préavis et sans lui verser complètement son indemnité de départ prévue au contrat de travail ?
[7] APN reproche à Michel Leblanc des agissements qu’elle assimile à un motif sérieux [4], liés à deux situations particulières, afin de mettre fin à son emploi immédiatement et sans lui payer entièrement l’indemnité de départ prévue au contrat. Plus spécifiquement, APN soutient que Michel Leblanc a fait défaut d’informer la direction et de résoudre les problèmes survenus avec certaines valves vendues à un important client, et ne pas avoir augmenté annuellement les prix des clients, contrairement aux demandes et aux représentations de la direction.
[8] Toutefois, cet argument n’est pas convaincant.
[9] L’existence d’un motif sérieux de congédiement constitue une question de fait dont le fardeau de preuve repose sur APN. Toute faute ne rompt pas d’office la relation employeur-employé; il s’agit d’un fardeau exigeant la démonstration d’une faute grave et suffisante de la part de Michel Leblanc. L’incompétence, la négligence grave, l’insubordination, le manque de probité et de loyauté d’un cadre supérieur et la perte de confiance qui s’ensuit constituent certains exemples de motifs sérieux pouvant mener à un congédiement. La perte de confiance ne peut constituer à elle seule, sans la preuve d’un manquement grave et répété, une cause suffisante pour justifier un congédiement sans indemnité, et ce, même à l’égard d’un haut dirigeant [5]. L’évaluation de la nature des inconduites reprochées, du contexte de ces inconduites et de la proportionnalité de la sanction imposée permettent de se prononcer quant à la justesse ou non de ce congédiement [6].
[10] Le congédiement sera justifié si l’inconduite est d’une gravité telle qu’elle est incompatible avec le maintien de la relation d’emploi, soit qu’un employeur raisonnable, placé dans les mêmes circonstances, aurait également congédié Michel Leblanc. Les circonstances à considérer dans l’analyse des motifs du congédiement incluent, notamment, l’importance du poste occupé, la position hiérarchique de l’employé, son niveau de responsabilité, la nature de l’emploi ainsi que la gravité et les conséquences des fautes commises sur la continuation des opérations de l’entreprise, les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par l’employeur à son égard [7].
1.1.1 Les problèmes occasionnés à un client de l’entreprise en lien avec la vente d’un produit défectueux
[…]
[25] Certes, Michel Leblanc aurait eu avantage à informer plus rapidement Yves Proteau de la situation, mais le Tribunal ne peut y voir un motif suffisamment sérieux permettant de le congédier sans préavis et sans lui verser l’intégralité de l’indemnité de départ prévue à son contrat de travail. L’entreprise n’a aucune directive quant au niveau de communication de l’information entre les vice-présidents et Yves Proteau. Chacun se fie à son expérience et son expertise. Du reste, plusieurs autres employés se sont impliqués activement afin de résoudre ce problème – dont la propre fille d’Yves Proteau – et n’ont reçu aucune sanction disciplinaire quant à la situation des valves défectueuses.
[…]
[27] Le Tribunal conclut que le témoignage de Michel Leblanc est convaincant et que les explications fournies, et non contredites, démontrent qu’il n’a jamais manqué de loyauté à l’égard d’APN et qu’il a tout mis en œuvre afin de résoudre ce problème, et ce, même s’il ne relevait pas totalement de ses responsabilités de ventes et marketing, mais également de la conception du produit défectueux.
1.1.2 L’augmentation des prix de vente
[…]
[32] Le Tribunal conclut que le témoignage de Michel Leblanc est convaincant et que les explications fournies démontrent qu’il n’a jamais manqué de loyauté à l’égard d’APN. Il met tout en œuvre pour assurer la profitabilité générale de l’entreprise – connaissant une croissance continue – et de rencontrer les attentes annuelles globales de la direction selon la description de ses responsabilités prévue à son contrat de travail. De plus, il prend ses décisions avec transparence et en l’absence de toute fraude ou malhonnêteté[20].