arrow_back Retour aux articles

La notion de service continu: application dans le cas de la transformation d’une entreprise

Par Me Paul-Matthieu Grondin, en collaboration avec Juliette Fucina

 

 

 

Dans la cause Allard-Corneau c. 9461-8931 Québec inc., le Tribunal administratif du travail est saisi d’une plainte pour congédiement sur la base de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail.

 

Dans cette affaire, la plaignante, une employée d’une compagnie qui offre des produits et services en assurance, soutient qu’elle a été congédiée sans cause juste et suffisante après près de sept ans d’emploi.

 

De son côté, l’employeur prétend que la plainte est irrecevable puisque l’employée ne justifie pas de deux ans de service continu. Il affirme que la transformation de l’entreprise effectuée en 2022 a rompu tout lien de droit avec l’ancienne entreprise pour laquelle la plaignante avait commencé à travailler en 2015. C’est cette prétention qui retient l’attention de ce billet de blogue, une prétention que le Tribunal réfutera.

 

En effet, la continuité d’un contrat de travail est possible et ce, malgré la transformation d’une entreprise, lorsqu’il y a à la fois continuité de l’entreprise ainsi qu’un lien de droit entre l’ancien et le nouvel employeur, comme c’est le cas en l’espèce.

 

Voyez la façon dont le juge administratif motive sa décision :

 

[34]      Pour le Tribunal, la continuité de l’entreprise est manifeste. 

[35]      L’employeur continue d’offrir les produits et services en assurance de dommages proposés par Beneva. La finalité de l’entreprise est identique, même si un nouveau contrat de service a été conclu avec Beneva. L’employeur a aussi avisé les partenaires, qui recommandaient autrefois des clients à Reflet Assurances, que « le même bon service » leur serait fourni malgré les changements survenus. Ces partenaires dirigent maintenant des clients potentiels vers l’employeur.  

[36]      Les noms « Reflet 2.0 assurances » et « Reflet 2.0 Assurances L’ASSURANCE À VOTRE IMAGE » sont similaires aux noms « Reflet Assurances » et « Reflet Assurances L’ASSURANCE À VOTRE IMAGE » utilisés auparavant. L’employeur utilise également la même marque de commerce, si ce n’est de l’ajout du « 2.0 ». 

[37]      En outre, six employés de Reflet Assurances poursuivent leur emploi chez l’employeur en télétravail, dont la plaignante. Cette dernière dit effectuer ses tâches « comme avant ». Son contrat de travail débutant le 31 mars est comparable au précédent. 

[38]      De plus, un lien de droit unit les employeurs successifs. 

[39]      D’abord, les propriétaires de Reflet Assurances ont démontré leur volonté « de se départir du droit d’exploitation » en proposant leur aide afin de « repartir » l’entreprise lors de l’annonce de leur retraite. 

[40]      Ensuite, le portail de gestion utilisé chez Reflet Assurances a été vendu à l’employeur. Le contrat de vente prévoit que non seulement le « Portail informatique Sharepoint 365 de Reflet Assurances » est acquis, mais également son « contenu en prospect en assurance ». L’employeur bénéficie donc d’une liste de milliers de noms de clients potentiels, particuliers et commerciaux, qui peuvent être sollicités, de même que leurs coordonnées. Différents classements permettent de les repérer dans ce portail, notamment par date de renouvellement de police d’assurance, selon le nom du partenaire qui les a recommandés, etc.

[41]      Il est vrai que l’employeur ne peut pas solliciter la clientèle sous contrat avec Beneva et dont les coordonnées se retrouvent dans le portail de gestion. Toutefois, le portail de gestion contient aussi des milliers de clients dits « orphelins » qui ne font pas l’objet d’une telle interdiction.

[42]      En résumé, la plaignante a démontré la continuité d’entreprise et la présence du lien de droit entre les employeurs successifs. Puisque les conditions nécessaires à l’application de l’article 97 de la LNT sont remplies et que la plaignante a commencé son emploi en 2015, elle justifie plus de deux ans de service continu.