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La Cour supérieure confirme le congédiement d’un directeur des opérations sans indemnité de départ malgré ses 39 ans de service

 

 

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

Dans la cause très récente de la Cour supérieure, Couture c. Kleen Flo Tumbler Industries Limited, un directeur des opérations qui a gravi les échelons de la compagnie depuis 39 ans se fait congédier à la suite d’agissements problématiques. Il est plus rare que jamais de voir une telle longévité dans une entreprise, et c’est ce qui rend la décision d’aujourd’hui intéressante.

L’attitude autoritaire et condescendante qu’aura adopté le directeur des opérations en fin de carrière traduisait un mépris tel envers ses employés qu’ils deviennent mutins et refuseront carrément de se présenter au travail à un certain moment.

Habituellement, quand on a à congédier un employé d’une telle expérience, une gradation des sanctions est nécessaire, qu’il s’agisse d’avertissement verbaux, écrits, de suspensions ou de coaching de tout type. Cela dit, pour des infractions graves, il est possible de passer outre cette gradation. Cela est d’autant plus vrai quant à un employé au sommet de la hiérarchie de l’entreprise.

La différence entre un congédiement (pour lequel on « monte » un dossier) et le licenciement par exemple, c’est bien sûr qu’on ne doive pas verser d’indemnité de départ pour l’employé qu’on congédie. Dans le cas d’un employé qui est là depuis presque quatre décennies, cette indemnité aurait pu s’approcher des 24 mois, ce qui est un montant substantiel.

Ici, la juge confirme le congédiement sans indemnité :

 

 

 

[101]     C’est l’unanimité qui ressort des divulgations de 2018 et leur ampleur qui ébranle la direction.

[102]     M. Couture plaide que l’on aurait dû appliquer une gradation des sanctions.

[103]     D’une part, ce principe ne s’applique pas à un cadre qui est au sommet hiérarchique de la compagnie, comme l’enseigne la Cour d’appel dans Carignan c. Maison Carignan inc.[30] :

[22]         Le principe de la progression des sanctions disciplinaires prévoit que la mesure de congédiement imposée à un salarié doit généralement être précédée d’un avertissement verbal suivi d’un avis écrit, d’une courte suspension et d’une longue suspension.

[23]         Ce principe ne peut être mis en application dans le cas du plus haut dirigeant d’une organisation, comme l’est l’appelant en l’espèce. La nature de sa fonction, la grande discrétion dont il est nanti, le leadership dont il doit faire preuve et les pouvoirs qu’il exerce sur les salariés dans l’organisation ne se prêtent pas ici à l’application de ce principe.

[Soulignements du Tribunal]

[104]     Sous la plume du juge Michel Robert, dans l’affaire LeFrançois c. Canada (Procureur général)[31], la Cour d’appel confirme que la position occupée est un facteur permettant d’évaluer le niveau de gravité :

[59]         On peut donc conclure de cette revue de la jurisprudence que toute faute ne rompt pas d’office la relation employeur-employé. Il faut plutôt déterminer la nature de l’inconduite, le contexte de sa commission et la proportionnalité du congédiement comme sanction. Le congédiement sera justifié si l’inconduite est d’une gravité telle qu’elle est incompatible avec le maintien de la relation d’emploi.

[60]         Les facteurs considérés par la jurisprudence étudiée sont: la position hiérarchique de l’employé et son niveau de responsabilité, l’ancienneté, le degré d’autonomie fonctionnelle, les difficultés auxquelles l’entreprise fait face, la conscience de l’employé de son inconduite, le bénéfice personnel retiré de l’inconduite, l’âge de l’employé, sa conduite passée et les politiques du milieu d’emploi.

[…]

[69]         Le comportement de l’appelant a-t-il été à ce point inacceptable qu’il était incompatible avec l’exercice de ses fonctions? Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en répondant à cette question par l’affirmative. En tant que haut fonctionnaire, l’appelant était soumis au devoir déontologique le plus strict, tel que rendu explicite par le code auquel il était soumis. La somme de ses gestes inappropriés révèle une inconduite qui justifiait le congédiement.

[Soulignements du Tribunal]

[105]     D’autre part, la façon d’être de M. Couture est ancrée en lui depuis longtemps. Il a 60 ans lors des événements. Ce n’est pas une situation qui se corrige. C’est sa personne tout entière qui est ainsi.

[106]     D’ailleurs, tout comme il l’a fait devant l’enquêtrice[32], M. Couture minimise l’impact de ses propos et n’exprime aucuns remords.

[107]     D’entrée de jeu, il dit que ce que le Tribunal entendra en preuve constitue de la « bouillie pour les chats ». Il mentionne qu’il est improbable qu’il ait été irrespectueux alors qu’il utilise des propos orduriers en décrivant les gens.

[108]     Dans Champagne c. Hydro-Québec[33], le juge Alain Michaud conclut que l’absence de remords et de reconnaissance font échec à tout espoir de réhabilitation car il y a risque de récidive :

[196]      Une dernière circonstance aggravante au dossier, et non la moindre, est celle de l’absence d’aveux ou de regrets de la part du demandeur.

[197]      Le rapport D-7 au dossier, tout comme le témoignage de monsieur Champagne à l’audience, font la démonstration d’un déni constant des faits, qui aggrave les conclusions que l’on doit tirer de sa conduite originale. Le demandeur – on le voit bien – n’exprime aucun regret sincère de la commission des gestes concrets posés par lui, puisqu’il en nie l’existence.

[198]      Cette attitude « après le fait » de l’employé, à l’occasion de l’enquête sur sa conduite, a un lien direct avec l’appréciation que peut faire l’employeur des risques de récidive de l’individu. Ainsi, si le chef de police lui-même s’acharne à nier la commission de gestes par ailleurs clairement établis, comment le lien de confiance peut-il être maintenu entre l’employeur et l’employé?

[199]      Cette négation systématique des faits incriminants par monsieur Champagne –autant devant l’enquêteur Hamel que devant le Tribunal – ainsi que la nature très particulière du poste occupé par lui sur le chantier, mènent nécessairement à la conclusion que ce lien de confiance est irrémédiablement rompu entre Hydro-Québec et son cadre.

[Soulignements du Tribunal]

[109]     De toute façon, quoiqu’il dise qu’un avertissement aurait été requis, M. Couture ne souhaitait pas modifier son attitude.

[110]     Lorsque les employés de bureau sont revenus au début octobre, ils veulent lui exprimer les raisons de leur absence mais ils ont carrément essuyé un refus de la part de M. Couture.

[111]     M. Fiset lui a déjà dit que sa manière de parler aux autres gens était offensante mais fort inutilement. Cela n’a servi à rien.

[112]     En pareil cas, devant le sérieux des motifs et de leur bien-fondé, le Tribunal conclut que le congédiement est une sanction appropriée.