Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Soukaina Ouizzane
Dans une récente décision de la Cour supérieure, N.D. c. Promutuel Prairie-Valmont, société mutuelle d’assurances générales, le plaignant réclame 134 135 $ à Promutuel Prairie-Valmont (ci-après, « Promutuel ») pour congédiement illégal. Il réclame également 20 000 $ à titre de dommages moraux, en raison des circonstances entourant la fin de son emploi. En réponse, Promutuel soutient qu’il s’agissait d’une fin d’emploi consensuelle.
En janvier 2009, le plaignant accepte de reprendre son poste d’agent d’assurances. Peu de temps après, la directrice générale procède à l’analyse de la clause de rémunération du nouveau contrat d’emploi du plaignant. Selon son interprétation, la rémunération de ce dernier doit être réduite à 32 000 $ en raison de la valeur insuffisante du portefeuille qu’il gère, laquelle se situe sous le seuil de 475 000 $. Le plaignant conteste fermement cette décision, affirmant avoir droit à un salaire minimum garanti de 58 500 $ et que l’employeur a l’obligation de lui transférer un nombre suffisant de dossiers pour atteindre ce seuil. Une seconde rencontre survenue quelque temps plus tard entre les parties ne permet pas de résoudre le différend et mène ultimement à la rupture du lien d’emploi du plaignant.
Le Tribunal estime que la clause de rémunération était ambiguë et devait être interprétée contre Promutuel, en tant que partie l’ayant stipulée. Bien que l’employeur ait soutenu que le salaire minimum était conditionnel à l’atteinte du seuil, rien dans le contrat ne permet de conclure à une telle condition. Par conséquent, le Tribunal estime que le congédiement du plaignant repose sur une interprétation erronée et injustifiée du contrat.
En ce qui concerne les dommages moraux, le Tribunal accorde au plaignant la somme de 5 000 $, estimant notamment que l’employeur a fait preuve de mauvaise foi dans la manière dont la fin d’emploi a été gérée. Il considère que cela dépasse le niveau d’humiliation, de détresse et d’angoisse habituellement associé à un congédiement, tel que mentionné par la Cour d’appel dans Orchestre métropolitain du Grand Montréal c. Rescigno.
De plus, après avoir évalué les circonstances spécifiques du plaignant, le Tribunal estime que le délai de congé raisonnable aurait dû être d’un an, plutôt que le préavis de deux semaines (2 500 $) et l’indemnité de départ équivalente à cinq semaines de salaire (6 250 $) qui lui ont été offerts.
En conclusion, le Tribunal condamne Promutuel à verser la somme de 65 630 $ au plaignant.
Voyez plus spécifiquement la façon dont la juge a motivé sa décision :
IV ANALYSE
Principes d’interprétation des contrats
[25] Il y a lieu d’interpréter la clause de rémunération du contrat d’emploi P-3 en tenant compte de la commune intention des parties[9].
[26] L’on doit également tenir compte de la nature du contrat et des circonstances dans lesquelles il a été conclu[10].
[27] De plus, la clause en litige doit s’interpréter à la lumière des autres clauses du contrat[11].
[28] Par ailleurs, l’on doit privilégier l’interprétation qui confère un effet à la clause plutôt que celle qui ne lui en confère aucun[12].
[29] Enfin, dans le doute, le contrat s’interprète en faveur de celui qui a contracté l’obligation et contre celui qui l’a stipulée[13].
(…)
Interprétation de la clause de rémunération 3.1.2 de l’Annexe 3 du contrat d’emploi
[42] En conséquence, vu l’ambiguïté, le Tribunal applique le principe d’interprétation selon lequel celle-ci doit être résolue contre la partie ayant stipulé l’obligation, c’est-à-dire contre Promutuel. En effet, il n’est pas contesté que le contrat d’emploi (incluant l’ensemble de ses annexes) a été rédigé par l’employeur.
[43] Il aurait été simple pour l’employeur d’utiliser des mots clairs et précis comme « seulement si » et « conditionnellement à » si les salaires décroissants de 58 500 $ puis 52 000 $ n’avaient pas été des salaires minimaux. L’on constate d’ailleurs que dans d’autres contrats que l’employeur a conclus avec d’autres employés, de telles expressions sont parfois utilisées.
[44] Enfin, lors des plaidoiries, Promutuel a soumis un extrait de dictionnaire comportant la définition ci-dessous du verbe « assumer »:
Assumer: prendre à son compte ou se charger d’une tâche .
[45] Cette définition correspond à l’interprétation proposée par M. D…, soit la notion de prise en charge. La situation aurait été différente si l’employeur avait utilisé l’anglicisme « assumant que »; l’on aurait alors pu conclure à l’existence d’une véritable condition à laquelle le salaire mentionné était rattaché.
[46] Étant donné l’ensemble de ces circonstances, le Tribunal estime que l’employeur n’aurait pas dû, en l’espèce, mettre ainsi fin au contrat de M. D… en lui imposant une interprétation qui faisait en sorte que son salaire baisse de plus de la moitié, après un an alors qu’il avait été le meilleur vendeur.
[47] N’oublions pas que l’objectif qui sous-tendait la politique mise en place par l’employeur[17], était l’harmonisation des salaires avec ce qui était généralement payé dans ce domaine. Appelé à préciser cet objectif, M. Théorêt a référé au fait que Promutuel Prairie visait en réalité à réduire la rémunération de certains agents dont les salaires étaient de plus de 100 000 $[18], ce qui n’était de toute évidence pas le cas de M. D….
(…)
Dommages
[52] À cet égard, le Tribunal tient compte de l’ensemble des circonstances dont les critères spécifiquement énoncés au deuxième alinéa de l’article 2091 C.c.Q. et ceux qui découlent de la jurisprudence, notamment:
– les circonstances de l’engagement;
– la durée des services;
– l’âge de l’employé;
– la nature de l’emploi;
– la difficulté à retrouver un emploi similaire;
– l’état du marché du travail; et
– la conduite de l’employé.[21]
[53] M. D… a travaillé trois ans et demi pour Promutuel, incluant deux ans à titre de directeur des ventes. Il supervisait alors plusieurs agents, participait à des décisions stratégiques et négociait les contrats d’emploi avec les agents dont il était responsable. Dans le cadre de son dernier emploi, il était redevenu agent d’assurances et envisageait terminer sa carrière auprès de Promutuel, en 2012, ce que cette dernière devait savoir vu les discussions à ce sujet entre messieurs Théorêt et D… au moment de la négociation du contrat d’emploi.
[54] De plus, il avait environ 58 ans au moment de son congédiement, ce qui ne constitue évidemment pas l’âge idéal pour trouver un nouvel emploi.
[55] En outre, la preuve selon laquelle celui-ci avait été le meilleur vendeur de son groupe en 2009, n’a pas été contredite et Promutuel n’a soulevé aucun élément qui aurait pu laisser croire que l’employé avait eu une mauvaise conduite. Au contraire, M. D… semblait un employé sérieux, travaillant et loyal. Ceci explique vraisemblablement le fait qu’il ait ressenti un véritable choc au moment de son congédiement.
[56] Enfin, il a entrepris des démarches sérieuses afin de trouver un emploi comparable et le délai pour y arriver peut certainement être qualifié de raisonnable, compte tenu notamment de son état de santé à la suite du congédiement.
[57] En conséquence, le Tribunal accueillera la réclamation pour perte de salaire en tenant compte d’un salaire de 58 500 $, auquel M. D… aurait eu droit moins les 2 500 $ de revenus qu’il a reçus à titre de préavis selon son relevé de paie P-5. Ceci donne 56 000 $.