Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans la décision en cours d’instance de la Cour supérieure dans le dossier Murphy c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, la juge rejette une demande de l’employeur qui visait à établir la compétence du Bureau du surintendant des institutions financières, plutôt que de la Cour supérieure, quant à des avantages supplémentaires réclamés par le demandeur, qui seraient liés à un régime de retraite pour cadres supérieurs.
Dans ce dossier où des sommes importantes sont en jeu, un employé de chemin de fer depuis 25 ans réclame aussi 24 mois en indemnité de départ, ce qui est le maximum théorique qui peut être réclamé.
Il sera intéressant de voir la décision au fond du dossier.
Pour le moment, voici le raisonnement de la juge quant à sa déclaration de compétence de la Cour supérieure :
[19] De l’avis du Tribunal, à la lumière des dispositions pertinentes de la LNPP, le CN est mal fondé de soutenir que le Surintendant constitue un organisme juridictionnel compétent pour entendre une demande de la nature du recours du demandeur.
[20] Institué par la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières[11], le Surintendant est un organisme fédéral qui effectue un contrôle règlementaire sur les institutions financières et les régimes de pension. Les dispositions pertinentes de cette Loi édictent ce qui suit :
3.1 La présente loi vise à assujettir les institutions financières et les régimes de pension au contrôle réglementaire d’un organisme fédéral en vue d’accroître la confiance du public envers le système financier canadien.
4 (1) Est constitué le Bureau du surintendant des institutions financières, placé sous l’autorité et la responsabilité du ministre.
[…]
(2.1) Le Bureau poursuit, à l’égard des régimes de pension, les objectifs suivants :
- a)superviser les régimes de pension pour s’assurer du respect des exigences minimales de capitalisation, des autres exigences prévues par la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension et la Loi sur les régimes de pension agréés collectifs et leurs règlements et des exigences découlant de l’application de ces textes;
- b)aviser sans délai l’administrateur du régime qui n’est pas conforme aux exigences visées à l’alinéa a) et prendre les mesures pour corriger la situation sans plus attendre ou forcer l’administrateur à les prendre;
- c)inciter les administrateurs de régimes de pension à se doter de politiques et de procédures pour contrôler et gérer le risque.
[…]
6 (1) Le surintendant exerce les attributions que lui confèrent les lois mentionnées à l’annexe de la présente partie; il étudie toutes les questions liées à leur application et en fait rapport au ministre, sauf en ce qui a trait aux dispositions visant les consommateurs au sens de l’article 2 de la Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada.
[21] Relativement aux attributions du surintendant, l’article 5 de la LNPP prévoit ce qui suit :
5 (1) Sous l’autorité du ministre, le surintendant est chargé de l’application de la présente loi et, à ce titre, dispose des pouvoirs qu’elle lui confère.
(2) Il peut notamment :
- a)recueillir les renseignements permettant d’apprécier les révisions, en particulier celles liées à l’inflation, apportées aux prestations de pension;
- b)procéder à des études, sondages ou recherches et recueillir des données statistiques ou autres relatives aux régimes de pension et à leur fonctionnement;
- c)communiquer les renseignements recueillis en application des alinéas a) ou b) ou du paragraphe 9.01(6) ou déposés au titre du paragraphe 9.01(5) ou des articles 10, 10.1 ou 12 à tout organisme public, notamment un organisme de réglementation;
- d)aux fins de mise en oeuvre d’un accord fédéral-provincial, recueillir des renseignements auprès de l’autorité de surveillance des pensions d’une province désignée et lui en communiquer.
(3) Il peut assortir de conditions tout agrément qu’il donne en vertu du paragraphe 9.2(10) et tout consentement, autorisation ou approbation qu’il donne en vertu de la présente loi.
[22] Certes l’administrateur d’un régime de retraite, soit le CN en l’instance, se trouve responsable de la gestion du régime et du fonds de pension, et doit exercer ce rôle dans le respect de la LNPP, à défaut de quoi le Surintendant peut l’enjoindre à prendre certaines mesures. Il est vrai également qu’en cas de non-adhésion d’un administrateur de régime à ses directives pour mettre fin à des pratiques douteuses, le Surintendant peut révoquer l’agrément de ce régime, une mesure appelable devant la Cour fédérale :
Pratiques douteuses
11 (1) S’il est d’avis qu’un administrateur, un employeur ou toute autre personne est en train ou sur le point, relativement à un régime de pension, de commettre un acte ou d’adopter une attitude contraires aux bonnes pratiques du commerce, le surintendant peut lui enjoindre d’y mettre un terme, de s’en abstenir ou de prendre les mesures qui, selon lui, s’imposent pour remédier à la situation.
Non-conformité
(2) S’il estime qu’un régime de pension ou la gestion de celui-ci n’est pas conforme à la présente loi ou aux règlements, ou que cette gestion n’est pas conforme au régime, le surintendant peut enjoindre à l’administrateur, à l’employeur ou à toute autre personne de prendre les mesures visées au paragraphe (1) pour en assurer la conformité.
[…]
33 (1) Après avoir signifié un avis d’opposition, l’administrateur peut, dans les délais suivants, interjeter appel à la Cour fédérale en vue de l’obtention d’une ordonnance visée à l’alinéa (5)b) :
- a)dans les quatre-vingt-dix jours suivant celui où le surintendant a décidé de maintenir la mesure visée au paragraphe 32(1);
- b)après le quatre-vingt-dixième jour et avant le cent quatre-vingtième jour suivant la signification de l’avis d’opposition si le surintendant n’a pas avisé l’administrateur de la modification ou du maintien de la mesure prise.
[23] Mais, force est de constater que si la LNPP permet au Surintendant de révoquer un régime, elle ne lui confère pas le pouvoir d’ordonner à un employeur d’inclure un employé comme participant à un régime, ou de lui verser une compensation à titre de délai-congé ou de dommages moraux. En effet, aucune disposition formelle et expresse[12] de la LNPP ne lui accorde le pouvoir de s’immiscer dans les relations contractuelles entre le CN et un employé. Au risque de redite, le demandeur cherche à être indemnisé pour une faute civile prétendument commise par le CN dans l’exécution de son contrat de travail. Dans les circonstances, il faut présumer de la compétence de la Cour supérieure[13].