arrow_back Retour aux articles

Congédié, un directeur général demande 36 mois en guise d’indemnité de départ pour 30 années de service

Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration d’Océane Marceaux

 

 

Dans une décision rendue par la Cour supérieure en 2021, Tessier c. Caisse Desjardins du Centre-de-la-Mauricie, un cadre supérieur réclame 36 mois de délai de congé et des dommages moraux et punitifs à la suite de son congédiement.

 

Après plus de 30 années de service au sein de la Fédération du Mouvement Desjardins et 5 années à titre de directeur général, le demandeur est congédié à l’issue d’une enquête menée à son sujet. Cette enquête révèle notamment qu’il avait incorrectement inscrit au registre ses semaines de vacances et qu’il avait fourni de fausses informations afin d’obtenir le remboursement de certaines dépenses personnelles. Aucune indemnité de départ n’est versée à l’employé.

 

Ce dernier dépose une requête à la Cour supérieure dans le but d’obtenir un délai de congé de 36 mois en plus de dommages moraux et punitifs. Il plaide le principe de gradation des sanctions, alléguant qu’on ne l’a jamais réprimandé pour ses agissements avant de le congédier. Il avance également que ses actions étaient connues par le conseil d’administration et avaient même été ratifiées par celui-ci. Finalement, il prétend que l’importance de son poste lui accordait une certaine liberté qui lui permettait ce genre d’agissements.

 

La cour rejette ses arguments et déclare que les motifs sérieux invoqués par l’employeur sont fondés. Elle estime que le demandeur a tort de penser que le poste de cadre supérieur lui accorde un passe-droit lui permettant d’agir de la sorte. Au contraire, les responsabilités qui incombent à un employé détenant ce titre sont justement plus grandes en raison de l’importance du poste occupé. De plus, bien que le lien de confiance entre un employeur et son employé soit crucial, il revêt une importance encore plus grande lorsqu’il s’agit d’un cadre supérieur.

 

Voyez comment le tribunal motive sa décision :

 

 

 

1.          Est-ce que le demandeur a été congédié de façon injustifiée et sans motifs valables?

1.1.4.   L’impact de la nature du poste de DG dans l’analyse du contexte

[30]        Tessier soutient avoir agi à l’intérieur de la latitude et de la discrétion que lui conférait son poste de DG. 

[31]        Il réfère au Guide des conditions de travail des gestionnaires—guide-conseil[13] où il est mentionné en introduction :

De façon générale, les conditions de travail applicables aux employés non-cadres s’adressent à l’ensemble des gestionnaires.

Cependant, compte tenu que les responsabilités des gestionnaires sont axées sur les résultats, que ceux-ci ont pleine latitude pour la gestion de leur temps et qu’ils sont porteurs des orientations de gestion visant la satisfaction des membres, la performance de l’entreprise et la mobilisation des employés, incluant l’équilibre vie-travail, les conditions de travail suivantes sont adaptées à leur contexte propre :

➢  mouvements de personnel

➢  aménagement du temps de travail

➢  caisse de gestion de temps 

➢  bilan de santé

➢  conditions facilitantes pour la formation

➢  pratiques salariales

[32]        Tessier considère que cela décrit fort bien la latitude de son poste de DG. Dans ces circonstances et après 30 ans de loyaux services, le congédiement constitue selon lui une sanction draconienne. 

[33]        La Caisse soumet au contraire que c’est l’importance du poste de DG dans l’organisation et la latitude dont il bénéficie qui ajoutent à la gravité des fautes de Tessier. De tels manquements commis par un DG mènent à la rupture du lien de confiance que la Caisse doit avoir envers son plus haut dirigeant. 

[34]        À cet égard, l’importance des responsabilités d’un DG dans une organisation et leur impact dans l’évaluation contextuelle des manquements donnant lieu au congédiement ont été plus d’une fois discutés par les tribunaux[14]. Entre autres dans l’affaire Valois c. Caisse Populaire de Notre-Dame-de-la-Merci[15] le Tribunal s’exprime ainsi :

[7]        M. Valois n’a jamais signé un contrat d’emploi avec la Caisse et son mandat de gérant n’a jamais été renouvelé annuellement comme le prévoit l’article 69 de la Loi sur les Caisses d’épargne et de crédit. Le salaire du demandeur est fixé annuellement par résolution du Conseil d’administration de la corporation en 1988, il gagne 75 000 $. Dans la structure des caisses, le gérant ou le directeur général est l’âme dirigeante de l’établissement. Il assume la gestion quotidienne, joue un rôle d’information et de surveillance en plus de définir les objectifs de la Caisse.

[…]

[74]      M. Valois est un homme de grande expérience, tous le reconnaissent et aussi intelligent comme il l’a démontré lors de son témoignage. Comme gérant ou directeur général, il exerce ses fonctions sous la direction du conseil d’administration, mais il en est l’âme dirigeante, le gestionnaire des opérations et il assume la responsabilité des employés qu’il supervise. Le directeur général est aussi le permanent qui informe et avise les membres bénévoles du conseil d’administration. Son poste est crucial pour assurer l’intégrité des opérations et il doit gagner et conserver la confiance des membres et des dirigeants. Dans toute institution, l’intégrité et la transparence des opérations a une valeur, mais pour une institution financière, elle est essentielle.

[Nos soulignements]

[35]        Plusieurs jugements confirment des congédiements pour motif sérieux impliquant un directeur général dans le milieu bancaire[16].La qualité et l’importance du lien de confiance de l’organisation envers son DG constitue la pierre d’assise des conclusions de ces jugements. 

1.1.5.   La ratification des actes du DG par le CA 

[36]        Tessier prétend que les gestes reprochés étaient connus, et dans plusieurs cas, ratifiés par le conseil d’administration (« CA »).

[37]        Tessier considère n’avoir enfreint aucune politique, directive ou règle émises par l’employeur dans le cours de son travail. Ainsi, on ne peut lui reprocher après coup d’avoir enfreint des règles dont il ignorait l’existence[17]. Il fait référence à l’affaire Brasserie Labatt c. Turcotte[18].

[38]        Or, cette affaire doit être distinguée du présent dossier. En effet, dans ce dossier il s’agissait d’un représentant qui procédait à des réclamations de dépenses sans suivre les règles, mais au vu et au su de ses supérieurs, et ce, depuis longtemps. 

[39]        Dans l’affaire qui nous occupe, Tessier est la tête dirigeante de la Caisse. Il se situe au plus haut échelon de l’organisation. Une des responsabilités du DG est d’informer le CA afin qu’il soit en mesure de prendre les meilleures décisions dans l’intérêt de la Caisse et de ses membres. Ainsi, ils ne reçoivent que l’information que Tessier choisit de leur transmettre. Dans ces circonstances il serait hasardeux de conclure facilement qu’ils ont ratifié les actes posés par Tessier, particulièrement s’ils ne pouvaient les connaître.

[40]        Dans l’affaire Valois[19], le DG plaidait qu’il était injuste de le congédier pour une pratique pour laquelle personne ne lui avait fait de reproches. Or, le Tribunal écrit ce qui suit à ce sujet en distinguant l’affaire de l’arrêt Sauvé c. Banque Laurentienne du Canada[20] :

[63]      […] Lorsqu’une Caisse commande du numéraire ou achemine des demandes d’émissions de câblogrammes, la FMO ne connaît pas les raisons motivant la demande de numéraire et dans le cas de câblogrammes, elle ne sait pas quel membre en a demandé l’émission et ces faits ne sont pas contestés. Le demandeur ne peut prétendre que le défaut de dénoncer ces transactions par la FMO constitue un acquiescement à la validité des opérations faites. Nous sommes très loin du cas étudié par l’honorable juge Proulx dans l’arrêt Sauvé c. Banque Laurentienne où la preuve avait démontré que la Banque avait antérieurement toléré une pratique dérogatoire. Pour accepter, tolérer une pratique, il faut en premier lieu la connaître, ce qui n’est pas ici la situation.

[Notre soulignement]

1.1.6.   La gradation des sanctions

[41]        Tessier s’insurge de ne pas avoir fait l’objet d’un avertissement du CA, si ses façons de faire ne répondaient pas aux exigences de l’employeur. 

[42]        L’employeur soumet que la Cour d’appel a reconnu que le principe de la progression des sanctions est inapplicable à un cadre supérieur[21].

[43]        Le Tribunal retient que le principe de  la gradation des sanctions ne s’applique pas dans le cadre du présent dossier, puisque Tessier a un poste de haute importance à la Caisse. Ses manquements touchent aux conditions essentielles à l’exécution de ses tâches et à la confiance sans faille que le CA doit avoir envers lui.

[…]

[48]        Considérant ce cadre juridique, le Tribunal conclut de la preuve administrée, soumise à l’analyse contextuelle,  que des motifs sérieux ont mené à la rupture du lien de confiance nécessaire entre le DG et le CA de la Caisse.