Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Juliette Fucina
Dans la cause du Tribunal administratif du travail, Lavallée c. Service de police de la Ville de Montréal, un chef de la Division de l’intégrité et des services externes du Service de police de la Ville de Montréal dépose une plainte dans laquelle il allègue avoir été victime de congédiement déguisé après avoir été déplacé au poste de conseiller au soutien à la gendarmerie.
Son employeur soutient que le Tribunal n’est pas compétent pour entendre une telle plainte et que le recours doit plutôt être intenté devant la Cour du Québec.
Après analyse, le Tribunal déclinera compétence. En effet, bien que la Loi sur les cités et villes prévoie la possibilité pour un employé cadre d’une municipalité de formuler une plainte auprès du Tribunal administratif du travail, cette possibilité de recours est exclue pour les policiers qui ne sont pas des salariés au sens du Code du travail. Ceux-ci, doivent plutôt intenter leur recours devant la Cour du Québec suivant le libellé de l’article 89 de la Loi sur la police.
Voyez la façon dont le juge administratif motive sa décision :
[18] Avec égard, le Tribunal ne retient pas ces arguments et est plutôt d’avis que le plaignant doit se prévaloir du recours prévu à l’article 89 de la LP, même si sa destitution déguisée alléguée n’a pas été accompagnée d’une suspension ou d’une réduction de traitement.
[19] Cette interprétation a d’ailleurs déjà été reconnue par la Cour du Québec elle‑même. En effet, dans Lamothe c. Ville de Montréal, cette dernière se prononce comme suit eu égard à un recours fondé sur l’article 89 de la LP dans un contexte d’allégations de « destitution déguisée » :
[124] Deuxièmement, il est établi en jurisprudence qu’une réduction substantielle des conditions de travail d’une personne, notamment la diminution du prestige ou du statut imposée par une mutation, peut être assimilée à un congédiement déguisé. Ici, elle équivaut à une destitution.
[…]
[130] En somme, une cour de justice est fondée, selon les faits d’une affaire, de conclure à l’existence d’un congédiement, et, en l’occurrence, à l’existence d’une destitution, lorsque la personne qui se plaint de ce traitement démontre :
– une diminution de ses responsabilités, une baisse de son traitement ou une perte de statut;
– une mutation vers un poste de moindre importance ou de prestige;
– une forme d’humiliation;
– une modification substantielle des conditions essentielles de l’emploi;
– une perte des avantages reliés à une fonction.
[131] En l’espèce, la cessation du versement du salaire de monsieur Lamothe, à elle seule, démontre de manière évidente qu’il a fait l’objet d’une diminution substantielle de ses conditions de travail.
[132] En outre, la décision de la Ville de ne pas réintégrer monsieur Lamothe dans un poste équivalent à celui qu’il détenait, avec un niveau décisionnel similaire et des responsabilités de gestion de personnel, cette décision donc, fondée sur des considérations qui, bien qu’elles paraissent légitimes à première vue, ne sont pas démontrées par la preuve, peut être qualifiée de destitution sans cause.
[133] Le refus de monsieur Lamothe, dans les circonstances décrites plus haut, d’occuper le poste de conseiller stratégique à l’UPAC est justifié. La Ville n’a pas démontré que ce poste était équivalent à celui occupé par monsieur Lamothe dans le passé. La Ville n’était pas justifiée de lui imposer la cessation du versement de sa paye.
[134] Monsieur Lamothe a donc raison d’affirmer qu’à compter du 15 janvier 2020, il a fait l’objet d’une destitution déguisée, quoiqu’en l’absence de résolution du comité exécutif de la Ville l’établissant.
[135] Même si une telle résolution était jugée sine qua non d’une destitution, la suspension sans solde, constatée par une telle résolution du conseil exécutif de la Ville, palie à cette lacune et satisfait à chacune des conditions législatives.
[136] En définitive, quel que soit l’angle avec lequel le Tribunal examine la preuve, monsieur Lamothe a fait l’objet d’une réduction de traitement. Il a aussi fait l’objet d’une diminution substantielle de ses conditions de travail qui conduit à la conclusion qu’il a fait l’objet d’une destitution sans cause.
[Nos soulignements]
[20] Ainsi, la Cour du Québec se déclare elle-même compétente pour entendre un recours fondé sur la LP où l’on allègue, comme c’est le cas en l’espèce, un congédiement ou une destitution déguisée à la suite d’un déplacement vers un poste de moindre importance. Dans ces circonstances, le Tribunal ne peut certainement pas en décider autrement.
[21] Il ressort également de cet extrait que l’argument du plaignant voulant que le Tribunal soit le forum approprié en l’absence d’une destitution emportant suspension immédiate conformément à l’article 88 de la LP est mal fondé.
[22] En effet, la Cour du Québec reconnaît sa compétence pour conclure à l’existence d’une destitution déguisée notamment lors « d’une mutation vers un poste de moindre importance ou de prestige ». Or, une telle mutation implique que le policier conserve son emploi, mais effectue d’autres fonctions, sans qu’il ne soit nécessairement suspendu. Par conséquent, le non-respect des exigences de l’article 88 de la LP n’est pas fatal à l’exercice du recours du plaignant devant la Cour du Québec.
[26] En somme, au moment du dépôt de sa plainte, le plaignant dispose d’un recours en vertu de l’article 89 de la LP. Par conséquent, conformément au deuxième alinéa de l’article 72 de la LCV, le Tribunal n’est pas le forum approprié pour entendre l’affaire.