Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Soukaina Ouizzane
Dans une décision rendue par le Tribunal administratif du travail en 2024, Basso c. Bugatti Design inc., une employée dépose un recours (une plainte) pour pratique illégale fondée sur l’article 122 de la Loi sur les normes du travail.
Sa plainte est cependant déposée cinq jours après le délai imparti par l’article 123 de cette même loi. Elle demande au Tribunal de la relever des conséquences de son défaut, alléguant un motif raisonnable, ce que l’employeur conteste.
En 1998, l’employée est embauchée par la société Bugatti Design inc. en tant que réceptionniste. Au fil des années, elle occupe successivement les postes d’acheteuse et de directrice des opérations. Cependant, sous la direction de nouveaux actionnaires, elle est congédiée le 2 mai 2022.
Dans le cas présent, bien que la plainte ait été soumise après le délai imparti, l’article 15 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail permet au Tribunal de prolonger un délai ou de relever une personne des conséquences du défaut de le respecter, si elle fait la démonstration d’un motif raisonnable et si aucune partie n’en subit de préjudice grave. Un motif raisonnable a été défini par la jurisprudence comme étant « non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion ». L’appréciation de ce motif se fait selon les circonstances particulières d’un dossier, telles que le comportement de la partie en défaut et le contexte de l’affaire. Un préjudice grave réfère à des cas où, à cause du délai, une partie ne peut plus constituer sa preuve ou se défendre.
Le 15 juin 2022, l’employée dépose dans le délai prescrit une première plainte à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) pour congédiement sans cause juste et suffisante. Peu de temps après, la CNESST la contacte pour obtenir des précisions, puis l’informe qu’elle peut également déposer une plainte pour pratique illégale, ce qu’elle fait le 21 juin 2022.
En l’espèce, le Tribunal estime que l’employée a agi comme une personne raisonnablement prudente et diligente en contactant la CNESST et en exprimant son intention de contester son congédiement dans le délai prescrit. De plus, il est évident que si elle avait été informée de l’existence du deuxième recours lors du dépôt du premier, elle aurait pu les soumettre simultanément. Finalement, le Tribunal considère que le dépôt de la seconde plainte cinq jours après la première n’a pas empêché l’employeur de constituer sa preuve.
En conclusion, compte tenu du motif raisonnable et de l’absence d’un préjudice grave, le Tribunal relève la plaignante des conséquences de son défaut. Par conséquent, la plainte pour pratique illégale de l’employée est recevable.
Voyez comment le juge Demers motive sa décision :
Est-ce que la plainte fondée sur l’article 122 de la lnt a été déposée hors délai?
[42] Une plainte fondée sur l’article 122 de la LNT doit être déposée à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, (la CNESST) dans les 45 jours de la pratique contestée.
[43] Dans la présente affaire, la plainte a été déposée le 21 juin 2022, soit 50 jours après le congédiement contesté qui est survenu le 2 mai 2022.
[44] Ainsi, force est de constater que la plainte a été déposée hors délai.
Existe-t-il des motifs justifiant de relever madame basso de son défaut?
[50] Madame Basso a clairement fait preuve de diligence et s’est comportée en personne raisonnable en contactant la CNESST et en manifestant son intention de contester son congédiement à l’intérieur du délai prescrit. Si on lui avait mentionné à ce moment qu’un autre recours était possible, elle aurait facilement pu cocher les cases du formulaire de la CNESST pour déposer en même temps les deux plaintes. Lui reprocher de ne pas l’avoir fait reviendrait à imposer une rigidité qui est incompatible avec les impératifs de la justice administrative, d’autant plus que la situation a été corrigée en quelques jours.
[51] Le Tribunal ajoute que le fait qu’une deuxième plainte ait été déposée cinq jours après la première ne peut avoir pour effet de priver l’employeur de la possibilité de s’aménager la preuve qu’il estime nécessaire ni de lui causer autrement un préjudice sérieux (ce qu’il n’allègue d’ailleurs pas).